LE RÉALISME N’EST PAS LEUR FORT, par François Leclerc

Billet invité.

Extérieures ou intérieures, les frontières de l’espace Schengen font l’objet de toutes les attentions. Dans l’espoir de rendre plus difficiles des répétitions de la tuerie de Paris, celles de l’extérieure vont être renforcées d’urgence à la demande des ministres de l’intérieur européens ; il a par contre été impossible d’empêcher la multiplication des intérieures afin de réduire le flux des réfugiés, le cas de la France mis à part. L’entourage de Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’intérieur qui est à Bruxelles à la manœuvre, a beau avoir déclaré pour se dédouaner « il faut faire attention à ne pas lier les sujets », l’assimilation des réfugiés et des fanatiques est un terrain d’élection pour les mal-pensants.

Après avoir été interrompue, la Route des Balkans a été finalement rouverte ce matin, mais la situation reste précaire. Hier, la Croatie a donné le signal de sa fermeture en refusant d’accepter le retour de 162 réfugiés que la Slovénie souhaitait refouler. Au sud de la Croatie, la Serbie et la Macédoine entreprenaient alors de refuser l’entrée sur leur territoire des réfugiés qui n’étaient ni Syriens, ni Irakiens, ni Afghans, bloquant les autres où ils étaient. Par réaction en chaîne, 4.000 réfugiés se retrouvaient coincés à la frontière grecque avec la Macédoine, où une clôture de plus est en train d’être érigée. Ce nouveau dispositif une fois mis en place, la Grèce va finir par accueillir les réfugiés qui ne seront pas éligibles à l’asile selon un critère de nationalité.

Considérées comme clés de la situation afin de les bloquer avant leur venue en Grèce, les discussions avec le gouvernement turc ne sont-elles pas illusoires ? La visite à Ankara d’Alexis Tsipras a donné lieu à la création d’un « groupe de travail » destiné à coordonner les efforts pour tenter de juguler le flux des réfugiés. Et, au terme de négociations qui ont déjà duré un mois, une nouvelle rencontre de Jean-Claude Juncker et Donald Tusk avec le Président Recep Tayyip Erdoğan à l’occasion du G20 d’Antalya n’a pas fait avancer plus les choses.

Les ressources du langage diplomatique ont été mises à profit par le président de la Commission, qui qualifié l’entrevue de « sportive et épuisante », pour y avoir vu « un rapprochement des bonnes volontés ». Le président turc, a-t-on appris, avait qualifié Jean-Claude Juncker d’ancien premier ministre d’un « pays grand comme une ville de la Turquie »…

Les dirigeants européens ont cherché à vendre le projet d’un sommet de l’Union européenne et de la Turquie afin de signer en grandes pompes un accord le 29 novembre, mais les autorités turques ne veulent pas se laisser entraîner dans la précipitation. Au-delà de la poursuite de leur jeu du chat et de la souris, ce qui peut être obtenu fait question étant donné la nature et l’ampleur du problème. Comment plus de deux millions de réfugiés turcs en famille pourraient-ils trouver du travail pour subsister dans un pays miné par le chômage ? Comment les enfants pourraient-ils être scolarisés ? Comment les traversées vers les îles grecques depuis les cotes turques de la mer Égée pourraient-elles stoppées ? Il est à craindre que, dans leurs calculs, les autorités européennes ne fassent pas preuve de plus de réalisme que d’habitude. Fixer en Turquie les réfugiés qui s’y trouvent déjà et ceux qui vont venir les rejoindre est tout simplement irréaliste, à moins de les enfermer dans des camps.